J’ai commencé récemment à ressentir une certaine routine dans le cadre de mon travail qui consiste à accompagner des classes de danse par des improvisations musicales. Cela arrive occasionnellement car je joue pour les mêmes professeurs de danse, depuis plusieurs années, dans certains cas. Certains de ces professeurs enseignent continuellement les mêmes excercices de la même manière, au fil des ans, pour chaque classe. J’ai donc été contraint de jouer dans un style musical bien défini et inchangé. La musique aquiert ainsi avec le temps une qualité un peu statique et n’est plus tout à fait vivante.

Les comédiens ou acteurs qui improvisent peuvent se retrouver dans une situation semblable s’ils font partie d’un spectacle avec de très nombreuses dates et travaillent avec le même groupe qui utilise constamment des structures et mises en situation similaires. Les comédiens qui ne font pas d’improvisations et sont dans un spectacle à représentations régulières et identiques, sont toujours confrontés à la problématique de créer le sentiment d’un renouvellement de la pièce à chaque représentation. (lorsque les improvisations sont complètement libres, comme dans le cadre de mon “Lake Ivan work” ce problème ne se pose pas étant donné qu’il est dans la nature même d’une improvisation d’avoir toujours quelque chose de nouveau à révéler.)

J’ai résolu ce problème pour ma part de manière assez spectaculaire en redécouvrant les motivations profondes qui me poussent à jouer de la musique.

J’ai assez d’expérience en tant que musicien improvisateur professionnel pour savoir que je devrais éviter d’essayer de créer quelque chose de nouveau juste en “essayant de créer quelque chose de nouveau”. Cela revient à réfléchir à de nouvelles idées ou à me forcer à jouer quelque chose que je n’ai jamais joué auparavant. Cette tentative consciente de renouvellement ôterait à la musique toute source émotionnelle ou intuititive et donnerait place à une musique faible et inneficace. L’erreur sous-jacente est que mon réel problème n’était pas le manque de renouvellement. Le vrai problème était que ma musique s’était fossilisée. En m’enlisant dans une formule éculée, bien que très efficace dans certaines situations pendant les cours de danse, la musique s’était coupée des sources intuitives qui la gardaient vivante et était devenue une coquille vide au lieu d’être empreinte d’une musicalité grandissante et imprévisible. Le besoin ne résidait donc pas dans la nouveauté de ma musique mais dans sa qualité.

Je suis donc retourné à mon engouement premier pour l’improvisation, c’est-à-dire: la “Saturation” (voir le lien sur “taking the audience on a journey” pour mon explication complète sur le concept de Saturation). L’objectif, alors que je place mes doigts sur le clavier et commence à jouer, est de ressentir le fluide musical dans sa dimension la plus complète, riche et puissante. Je veux être imprégné de cette sentation de musique. Je veux que chaque partie de mon corps se remplisse de cette musique. Au fur et à mesure de l’improvisation, je deviens de plus en plus avide de cette sentation de plénitude, je la désire un peu plus à chaque phrase musicale. (Étant donné, que je suis censé accompagner un enchainement très précis de pas de danse, je suis en l’occurence “Saturé” de cette sensation de Danse). Mon effort est entièrement focalisé sur une ouverture personnelle visant à ressentir une plus grande richesse de sentations.

Aussitôt après avoir renoué avec le concept de “saturation” plutôt que de chercher la nouveauté, de nombreux problèmes se résolurent d’eux-même. Je n’ai plus du tout été confronté à l’impasse “d’essayer de trouver quelque chose de nouveau à jouer”. Mon travail n’était plus de chercher quelque chose à jouer mais s’est dès lors résumé à poser mes doigts sur les touches et à les utiliser au profit d’une expérience la plus complète et riche possible. Je pouvais commencer à jouer sans même avoir d’idée précise. De quel style de musique s’agissait-il? Dans presque tous les cas, il s’agissait de quelque chose d’étonnament nouveau, une approche d’un exercice de danse habituel que je n’avais jamais explorée auparavant. Mais rien à voir avec une hasardeuse “nouvelle idée”, il s’agissait de quelque chose de réellement bien; simple, clair, efficace, et excessivement expressif. Dans certains cas, la musique n’était pas particulièrement nouvelle, il s’agissait de la variation d’une approche familière, mais le résultat était bien meilleur qu’il ne l’avait été depuis longtemps. Le tout était aussi passionné, sincère et profond que limpide et bien exécuté.

Les effets furent immédiatement visibles par tous. Les professeurs commencèrent à insister auprès de leurs élève sur la musicalité: “Écoutez cette musique formidable qu’il est en train de jouer. Dansez, pour mieux dialoguer avec cette musique !”. Les élèves vinrent me voir en fin de classe pour me dire qu’ils avaient beaucoup apprécié ce que je jouais. Et surtout, j’avais moi-même apprécié plus qu’à l’accoutumé, ce que je faisais.

En d’autres mots, lorsqu’une routine accablante et morne s’installe, il existe un moyen d’en sortir: chercher la qualité et la vérité au lieu de la nouveauté même. Souvenez-vous qu’il n’aie qu’un but dans une représentation: l’expérience et l’unicité du moment dans toute sa qualité, aussi riche et complète que possible. Gardez en tête cet objectif et les resultats seront nouveaux et uniques à chaque fois.