Lors d’une improvisation verbale basée sur une histoire, des personnages, ou une situation, il est relativement facile de savoir quand c’est le langage qui vous fait dériver : si vous commencez à parler de choses qui contredisent, affaiblissent ou négligent la structure de l’histoire, vous atténuez la scène.
Mais qu’en est-il des autres formes d’improvisation verbale non narrative plus poétiques et abstraites ? Si il n’y a pas d’histoire comment savoir quand le langage vous éloigne de l’essentiel de la scène ? Si vous démarrez votre scène en parlant d’oiseaux qui volent autour d’une décharge et que soudainement vous vous retrouvez à parler de différentes techniques de décoration de gâteaux, comment pouvez-vous savoir si ce changement de sujet fait quelque sens que ce soit dans la scène (qu’il soit rythmique, musical, esthétique, imagé, poétique) ? Si, au lieu de cela, le sujet reste celui des oiseaux survolant la décharge pour une durée qui semble très longue, comment savoir si la scène nécessite réellement que vous restiez focalisé sur cette image ? Êtes-vous tout simplement coincé là ou y restez-vous pour une raison particulière ?
La technique qui permet de gérer ce problème est de développer l’habitude de toujours retourner à la source de la scène durant celle-ci. Il se trouve que cette technique de retour à la source de la scène est l’outil essentiel pour toute improvisation. (Probablement pour toutes performance scénique, quel que soit son type.)
Par « La Source » j’entends : le flot sous-jacent de sentiments/musicalité/énergie qui est la base de création d’une scène. Personnellement, quand j’interprète une scène vocale de n’importe quelle sorte j’ai toujours l’impression que je peux atteindre un contact immédiat et concret avec cette source en ré-établissant une conscience de mon plexus solaire, l’endroit qui pour le Yoga est le « chakra du cœur ». Ce centre est un peu plus élevé que celui utilisé par les danseurs par exemple mais le théâtre est principalement focalisé sur l’énergie émotionnelle ainsi il semble logique pour moi d’utiliser un centre plus haut. (Notez que cela ne veut pas dire que chaque performance doit être très « émotionnelle » ou « histrionique » : on peut tout aussi bien ressentir une sensation de « quiétude », « neutralité » voire même de « froideur inhumaine » quand on se connecte à son plexus solaire.)
Il n’est pas correct de penser que votre plexus solaire est la source de la scène en elle-même. La Source ne se situe pas dans votre plexus solaire. Vous n’essayez pas de « ressentir » votre plexus solaire lui-même, qui après tout n’est qu’une partie de votre corps. Il faut penser à la Source de façon holistique : toute l’énergie et les sentiments de la performance rassemblés forment un moment entier, complexe à plusieurs niveaux, qui est la réelle Source de la scène. J’aime penser à un espace sans limites, dans lequel toute l’énergie et les sentiments qui sont en moi à n’importe quel moment, ajouté à tout ce qui se passe autour de moi dans l’espace (l’énergie de mon partenaire, la couleur, la lumières, les sons, les odeurs de la pièce) forment ensemble une réalité complexe, qui est la Source de la scène. Je peux éviter de m’inquiéter à propos de la différence entre ce qu’il y a « en moi » et ce qu’il y a « hors de moi » en traitant tout ce dont je suis conscient à chaque moment comme si tout était en moi.Le plexus solaire, alors, est plus comme une lentille. Le plexus solaire n’est pas la Source en soi mais l’endroit par lequel je peux la faire passer afin de l’amener dans ma respiration et ma ligne vocale (mes mots et mes silences). Le plexus solaire est l’endroit où je peux toujours aller pour renouer contact avec la Source, parce que je la concentre et la canalise à cet endroit précis de mon corps.
Quand je joue une scène, j’ai toujours l’impression de devoir constamment revenir à cet endroit, ce centre, afin de garder la scène sur ses rails. Je me vois comme renouant le contact avec cette Source au début de chaque phrase durant la scène. Par « chaque phrase » je veux dire, sans trop de précision, chaque ligne ou deux du texte. L’élément important est que, durant l’étendue de la scène, je développe un rythme où je suis constamment en train de revenir à mon centre et de renouer avec lui et avec la Source, tout aussi naturellement que je renouvelle constamment ma respiration. Il n’est pas important de savoir précisément quelle est la longueur des phrases ni de savoir exactement où est le départ d’une « nouvelle phrase ».
Comment cette technique m’aide-t-elle à avoir confiance dans le langage qui se trouve sortir de ma bouche pendant la scène? La technique marchera si on suppose que la prémisse sous-jacente est acceptée : la prémisse selon laquelle l’intégrité et le sens de la scène dépends de la certitude que chaque moment de la scène vient le plus directement possible de la Source.
En utilisant la technique de revenir constamment à la Source j’évite le sentiment que mon langage vient d’une couche superficielle : du langage lui-même, de ses images, de son thème, ses idées, au lieu de cela je vérifie en permanence que le langage vient directement de la Source sous-jacente. Donc, si je suis en plein milieu d’un monologue (ou d’un dialogue avec un partenaire) à propos d’oiseaux volant au-dessus d’une décharge, j’évite de me sentir simplement « installé » dans la surface du thème pour trouver ma prochaine réplique : je ne suis pas simplement en train de répondre à la question « quelle est la prochaine chose qui se passe dans la décharge, les oiseaux s’envolent-ils ? » ou « à quoi la décharge me fait-elle penser ? ». Ou toute autre sorte d’association purement logique, conceptuelle et imagée. Je vais plutôt renouer contact avec mon centre toutes les une ou deux lignes de mon monologue, retourner dans le flux de sentiments grâce auxquels je communique avec mon plexus solaire ainsi ce contact renoué avec la Source me fait savoir quelle est ma prochaine réplique. Que va-t-il se passer? Beaucoup de choses différentes sont possible : il se peut que la réplique suivante soit toujours à propos de la décharge. Les 50 prochaines répliques seront peut être aussi toujours à propos de la décharge. Ou bien la réplique suivante aura radicalement changé de sujet pour un autre complètement différent, ou le sujet aura été déplacé mais vers quelque chose en rapport avec la décharge, par exemple un compost dans un jardin. Le fait est que quoiqu’il sorte de ma bouche, je suis capable de m’y fier et de savoir que c’est la bonne chose pour la scène au moment même parce que cela vient d’un contact constamment renouveler avec la Source. La scène aura une continuité et une intégrité parce que mon contact avec la Source est continu. Si le thème reste le même pendant longtemps, ça le reste parce que la scène a besoin qu’il reste le même. S’il ne cesse pas de changer c’est parce que la scène a besoin qu’il soit constamment en changement. En restant vigilant et en renouvelant constamment mon contact avec la Source, je peux être sûr que quoiqu’il sorte de ma bouche, cela est bon pour la scène. Cette assurance me permet de ne plus avoir à m’inquiéter ni à juger le contenu verbal de la scène parce que je peux toujours avoir confiance en la Source. Plus ce sentiment de confiance sera fort, meilleure sera la scène.
A présent continuons vers un exercice pour vous aider à développer cette technique : Le retour à la Source partie deux : L’excercice Alternant.
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