Le public de New York est rude. Je me rappelle de la première fois que j’ai joué sur scène (au theatre “Here”) pour un public qui n’était pas d’humeur très généreuse : ils avaient (métaphoriquement) leurs bras croisés sur leur poitrine, et je pouvais les entendre penser “OK, tu ferais bien de faire quelque chose de fantastique dans les prochaines 30 secondes sinon” (en regardant leurs montres) “je me casse d’ici.” C’est une chose assez effrayante à affronter lorsque que vous travaillez sans script. J’ai aussi fait de l’improvisation devant des publics qui détestaient clairement ce que j’étais en train de faire. Je sais que si j’essayais de travailler en tenant compte de l’énergie du public dans une situation comme celle-là, ça me causerais des soucis. Mais cela me laisse incertain quant à comment définir exactement ma relation avec le public.

D’autre part, j’ai aussi fait de l’improvisation pour des publics qui semblaient vénérer chacun de mes mouvements et riaient, appréciaient tout ce qui sortait de ma bouche. Les fois où, dans des cas comme cela, j’ai essayé de travailler en prenant compte l’énergie du public ça avait un effet tout autant néfaste. Je désirais tellement l’approbation et les rires du public que j’ai commencer à sortir tout les vieux tours de mon sac, mes “trucs” et j’étais félicité en permanence d’en faire autant. Mais la pièce elle même devint superficielle voire même incohérente, parce que que j’avais délaissé la logique émotionnelle interne de ce que j’étais en train de faire. Par la suite, mes amis m’ont appris que malgré tout les rires et les bonnes réactions du public, il sentaient, eux, que cette pièce ne faisait pas le poids et “ne marchais réellement pas”.

Des expériences telles que celles-ci m’ont menées à la conclusion que -malgré le fait que les comiques affirment qu’ils ont besoin de travailler en tenant compte de l’énergie qu’ils sentent dans le public- c’était une manière malavisée d’aborder les performances d’improvisation, de se demander si le public était amical ou hostile ou simplement neutre. J’ai commencé à chercher une autre manière de conceptualiser ce que je faisais.

Ce que j’en ai conclu est que : (comme la plupart des inscriptions dans ce journal, j’utilise cette idée pour jouer l’abstrait, les impros non-narrative qui sont la spécialité de mon groupe, mais le même concept peut être appliqué à une impro comique.) Le public a un rapport avec la performance qui peut être le même que celui qu’il aura en admirant un paysage. Si je suis un acteur jouant un arbre dans le paysage, plus je me connecterai à l’énergie de l’arbre et m’emplirait “d’arbreté” plus le public sera capable de voir, ressentir et apprécier cette partie du paysage. Si je joue la rivière, je dois m’emplir au maximum possible de l’énergie de la rivière afin que le public voit cette image clairement.

En d’autres mots, voici ce que ma relation au public n’est pas :

Je n’essaye pas de “jouer” la pièce pour eux

Je n’essaye pas de leur “expliquer” ou de leur “décrire” ce qui se passe dans mon imagination

Je n’essaye pas de leur “montrer” ce qui se passe dans la pièce

Je n’essaye pas “d’exprimer” la pièce.

Et voici ce que ma relation au public est :

J’essaye de ressentir, avec chaque cellule dans mon corps, chaque moment de la pièce. Plus je ressent la pièce comme une sensation physique dans mon corps, plus j’incarnerais clairement l’énergie de la pièce, donc la pièce sera d’autant plus claire pour le public. Plus je ressent la pièce physiquement avec ma voix (et les mots que j’utilise) plus le public sera capable d’entendre le son de la pièce.

Qui plus est, dans mon esprit je n’ai pas cette relation avec le public actuel qui est assit en face de moi au theatre, mais avec une sorte de public idéalisé que j’appelle “l’audience Virtuelle”. (Grotowski l’appelait le “partenaire de sécurité”, je crois.) C’est une personne ou des personnes imaginaires qui sont autant fascinés que moi par les incroyables, mystérieux mondes qui prennent forme grâce à la magie de l’improvisation. J’imagine que cette personne, comme moi, regarde, fascinée, minute par minute, la pièce se révéler elle-même. Plus je me connecte (physiquement) clairement à l’énergie de la pièce, plus cette personne et moi même seront capable d’apprécier l’acte de la découverte.

J’ai commencer à vraiment comprendre ce qu’était jouer pour ce “public virtuel” quand j’ai commencer a avoir plus joué devant une camera. C’est aussi la même chose qu’on fait en répétition : imaginer un public idéal. Maintenant, quand je joue dans un théâtre, j’utilise ma relation avec ce même public imaginé plus qu’avec le vrai public.

Ma motivation première pour jouer cette pièce devient ma propre curiosité et plaisir a découvrir ce que cette pièce deviens, mais pas d’essayer de satisfaire le public ou le “montrer” quoi que ce soit. Si tout le public s’en allait en plein milieu, je serais capable de continuer, purement pour mon simple plaisir personnel. ( D’ailleurs c’est ce qui a faillit se passer, une nuit au festival “Fringe”.) La qualité de ma performance ne dépend à présent plus d’avoir la “bonne” énergie d’un “bon” public.

J’utilise cette approche depuis maintenant des années dans beaucoup de situations de performances différentes, et j’ai réalisé que c’était toujours utile. Cela permet à la pièce d’être aussi puissante que possible sans considérer le genre de public que j’ai, c’est de plus un grand pas sur le chemin de l’élimination du trac.