Je travaille de temps en temps avec des acteurs ou étudiants qui ont déjà eut l’impression de se sentir complètement épuisé alors qu’ils tentaient de répéter ou de jouer. (Naturellement j’ai moi même déjà vécu cela.) Dans une improvisation vous êtes censé vous connecter avec la réalité de ce que vous ressentez à chaque moment, et faire de cela la base de la scène, n’est ce pas? Mais que se passe-t-il lorsque ce que vous ressentez est de l’atonie et de la faiblesse ? Et si la scène s’avère être beaucoup trop longue, interminable sans sens ni but précis ?

Je rappelle donc premièrement à l’acteur (ou à moi-même) qu’il a en réalité beaucoup d’énergie et qu’il a seulement un problème pour y accéder. Si un criminel enragé entrait dans la pièce, brandissant un pistolet ou une hachette, les personnes présentes seraient alors emplies d’une énorme poussée d’adrénaline donc d’énergie et ils chercheraient un moyen de sauver leurs vies. Ainsi, le problème n’est pas « je n’ai plus d’énergie » mais plutôt « comment pourrais-je surmonter les obstacles qui m’empêchent d’accéder à mon énergie ? »

La cause la plus fréquente d’une interminable « crise de l’énergie » pendant une improvisation est la confusion de l’acteur entre, d’une part, l’énergie de la scène qui est l’énergie de leur personnage, le flux de sensations et musicalité qu’il incarne avec les autres acteurs et d’autre part, son énergie personnelle en tant qu’artiste qui est l’énergie qu’il mets dans son jeu.

L’énergie de la scène peut être n’importe laquelle. Cette énergie est en effet constituée de tout ce que vous ressentez dans l’espace de chaque moment. Cela pourrait être de l’extase, de l’ennui, de la paranoïa, et, oui, cela pourrait être de l’épuisement, de la faiblesse et de la lassitude. C’est l’énergie que vous jouez, et, dans l’improvisation, cela devrait être quoi que ce soit que vous vous découvrez ressentir à l’instant, sans aucun effort pour le simuler, le fabriquer ou le changer. Si vous en venez à ressentir que l’énergie de la scène est dans la faiblesse ou la fatigue, ce n’est pas la peine d’essayer de la changer en quelque chose de plus excitant pour le public, car vous pouvez jouer une scène à propos d’épuisement et la rendre extrêmement drôle, excitante ou émouvante pour un public.

D’autre part, votre propre énergie en tant que personne qui joue, doit être très cohérente. Vous vous démenez en permanence. Vous faites l’effort de vous ouvrir au flux de la scène et des sentiments qu’elle éveille en vous tandis qu’elle se transforme en mots, actions et silences. Vous faites l’effort de constamment vous permettre de ressentir de plus en plus pleinement ce flux. Cela demande, à chaque instant, énormément de concentration et d’énergie.

Ainsi, si vous ressentez que l’énergie de la scène est une énergie d’épuisement, de faiblesse vous travaillerez toujours d’arrache pied pour ressentir cette énergie et la transformer en performance. Vous vous démenez pour ressentir cette énergie de faiblesse et pour ressentir sa transformation en mots, actions et silences. Vous essayez de vous ouvrir et de la ressentir de plus en plus pleinement. Vous essayez de comprendre, ressentir en quoi cette énergie est une partie du tout qu’est le flux d’énergie dans l’espace : les autres acteurs, et le cadre corporel. Et, évidemment, vous vous efforcez de rester conscient de la façon dont cette sensation de faiblesse se développe, change et évolue en la chose suivante.

Fort de la certitude que vous, l’interprète, travaillez toujours aussi dur que possible, même lorsque le personnage que vous jouez ressent un manque total d’énergie, vous vous rendrez compte que les passages de la scène qui traitent d’épuisement deviennent pour le public certains des passages les plus captivants et excitants.