Une des erreurs communes est d’entamer une scène improvisée en ayant pour idée que le défi de l’improvisation est celui de jouer sans texte, et que, par conséquent, quand “une idée vous est venue” qui “marche” vous avez d’une certaine manière résolu le problème.
La raison pour laquelle c’est une erreur est qu’une fois que vous avez décidé, dans un soulagement énorme, que vous “savez ce que la scène est” et qu’il ne reste plus qu’à la jouer, vous vous coupez de l’écoute du flux intuitif de sentiments qui est la réelle source de la scène, et la scène se meurt.
Je vais donner un exemple musical, tiré de mes propres expériences du fait d’avoir joué des musiques improvisées pour des cours de danses.
Il pourrait sembler, lors d’un cours de danse, quand le professeur montre un exercice ou une suite de pas aux élèves, que le travail du musicien est d’inventer quelque chose à jouer qui marchera avec ces pas de danse. Même si j’évite le piège grossièrement évident d’essayer de me forcer à penser à une idée musicale avant de commencer à jouer, je risque quand même d’être trop influencé par mon anxiété quant au “besoin de trouver une idée”. Ainsi lorsque, comme à chaque fois, je me rends compte, lors des quelques premiers moments de jeu, que j’ai en effet une idée, et que c’est une très bonne idée qui colle assez bien avec les pas de danse, mon anxiété est soulagée. Je suis tenté de me relâcher, de me dire “Ah, j’ai résolu le problème. Maintenant que j’ai une bonne idée sur laquelle travailler, tout ce qui me reste à faire est de jouer cette musique jusqu’à ce que l’exercice soit terminé.
Le résultat, inévitablement, est que la musique se fige en une idée gelée de musique, et perd son habilitée à s’épanouir, se développer, répondre aux changements des danseurs. Elle se meurt. Tout cela se passe parce que j’ai abandonné l’idée selon laquelle je dois écouter attentivement, m’ouvrir attentivement au sources intuitives de la musique.
Pareillement, si deux acteurs doivent improviser une scène narrative, sans un scénario pré-défini, ils peuvent par erreur croire que le défi de la scène est d’avoir une bonne idée. Une fois qu’ils ont démarré la scène et qu’ils réalisent collectivement qu’ils ont eu l’idée que la scène est à propos de Sally et son mari Jeff, qui se disputent pour savoir si oui ou non ils doivent aller manger au restaurant, il se peut qu’ils se relâchent, vivement soulagé d’avoir accompli la tache de trouver une bonne idée. Ils pensent que la seule chose qui leur reste à faire maintenant c’est de jouer le reste de la scène. A partir de ce moment là, la scène est comme coincée dans Sally-et-Jeff-se-dispute-au-sujet-du-restaurant, et toutes les chances pour que cela évolue et s’approfondisse en allant au delà de ce scénario sont perdues. Par ailleurs, la scène perd son aspect de vie-réelle-pouvant-être-découverte-à-chaque-moment, et à la place s’installent dans un panel cliché de notions secondaires à propos de personnes mariées ayant une dispute.
On peut éviter cette erreur en ayant une idée plus claire de ce que l’improvisation est réellement et ce qu’implique la tâche d’improvisateur.
Au lieu de penser, en entamant la scène, que le problème est de trouver une bonne idée, essayez d’imaginer, comme décrit n’importe où ailleurs dans ce blog, que la scène que vous aller jouer existe déjà dans sa forme parfaite, et que votre tâche est de vous rendre réceptif et de découvrir cette scène.
De plus, la scène elle même n’est pas une “idée”, mais un flux organiquement ressenti d’énergies et de sentiments sous-jacents. Ainsi votre réel défi n’est pas d’avoir une idée, mais de vous ouvrir continuellement et vous autoriser à ressentir ce flux d’énergie qui est la réelle source de la scène. C’est une tâche que vous devez exécuter du premier moment de la scène jusqu’au dernier.
Dans mon exemple musical, cela signifie que je reconnais que la réelle “musique” n’est pas constitué que de notes, de la structure d’accord, ou la structure mélodique. La vraie musique est le sentiment émotionnel, dynamique et rythmique qui sous-tendra à la fois les sons du piano et les mouvements des danseurs. Ma tache n’est pas de penser à une idée musicale, mais, en utilisant mes doigts sur mon clavier, de continuellement me rendre réceptif, en me laissant me connecter avec l’énergie musicale de manière de plus en plus complète. Le résultat? Il sera toujours vrai qu’une “idée” musicale claire deviendra vite apparente dans ce que je joue. Mais au lieu de rester figée, cette idée dans laquelle je me suis installée, continuera d’évoluer, se développer, et deviendra plus puissante. Quand elle aura organiquement besoin de devenir une autre idée, ça se fera. Ce sera vivant.
Dans le cas d’une scène narrative, les deux acteurs peuvent aussi garder la scène vivant en imaginant que la scène qu’ils sont sur le point de jouer existe déjà dans sa forme idéale. Ainsi, la scène elle même n’est pas une “idée” pour une scène, et elle n’est pas faite de ce que les acteurs vont faire ou dire. La scène devient plutôt un flux organiquement ressenti de sentiments sous-jacents aux mots et aux actions. Le travail des deux acteurs et de s’ouvrir a ce flux d’émotions de plus en plus pleinement au long de la scène.
Cela signifie que, tout comme le public, toute information nouvelle qu’ils découvrent à propos de la scène est provisoire, et est constamment approfondi et élargi. Ils se peut qu’ils découvrent, en s’ouvrant au flux-d’émotions-qu’est-la-scène, que la scène s’avère en effet être au sujet d’un mari et d’une femme nommé Sally et Jeff, et qu’ils se disputent en effet pour savoir si oui ou non ils doivent manger au restaurant. Mais la tâche de l’acteur n’est pas accomplie. La tache d’être continuellement réceptifs, et, par intuition au fur et a mesure de la scène en apprendre de plus en plus. Alors que la scène continue, les acteurs (et le public) en apprendront de plus en plus sur qui sont Sally et Jeff, s’ils sont en effet réellement en train de se disputer, et, si c’est le cas, ce dont il s’agit vraiment. Tout est provisoire et sujet à un remaniement. La scène grandit et acquiert de la profondeur, et amène l’audience plus loin dans un voyage dans le monde de Sally et Jeff. Les détails de la scène sont nourris par un savoir intuitif et précis au lieu de notions clichées. La scène vie.
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