L’un des problèmes les plus difficiles auquel doit faire face l’improvisateur débutant est : comment gérer la voix de la critique interne. Pendant qu’il est en train d’essayer de jouer une scène, cette insupportable voix dispose d’une source apparemment sans limites de critiques à faire :
Ce que je dis semble stupide. (Variantes : J’ai l’air stupide. Cette scène est stupide. Mes partenaires sur cette scène sont stupides. )
C’est lent. Répétitif. Ennuyeux. Cliché. Pas crédible.
J’ai peur de jouer aussi mal qu’hier soir.
Je n’aime pas l’éclairage. La musique. J’ai fait une erreur. J’ai renversé un des accessoires de la scène…
Etc. etc. etc. etc. ad infinitum.
Mais il est en fait tout autant nuisible d’avoir une voix interne qui félicite:
Cette scène se déroule à merveille!
J’adore cette dernière idée qui m’est venue!
C’est vraiment drôle/ émouvant/ bien fait…
La voix interne qui félicite tout comme celle qui critique sort totalement le comédien de sa scène, et le place dans une vision critique de la scène qui l’affaiblit.
En effet, toutes pensées parasites qui commentent la performance ou s’inquiètent du progrès de la scène sont nuisibles:
N’est-on pas censé finir bientôt?
Je me demande si mon copain apprécie cela?
Ma voix est-elle assez forte?
Le problème de la voix de la critique interne, c’est qu’elle vous fait douter de vos propres impulsions et intuitions, et une bonne technique d’improvisation consiste à avoir une totale confiance en celles-ci.
La technique pour surmonter la voix de la critique interne ne consiste pas à supprimer cette voix mais à savoir comment l’interpréter. C’est du gaspillage d’énergie d’essayer de prétendre que la voix critique n’est pas réellement là, alors que cette voix est une partie naturelle de vous. La bonne technique consiste à comprendre ce que cette voix vous dit vraiment.
Voici ce que je veux dire : les critiques de cette voix peuvent revêtir des millions de formes différentes mais au fond elles disent toujours la même chose : ressentez plus. Il n’y a pas assez d’émotions. Ce que vous faites n’est ressenti qu’à moitié. Ainsi la solution devient : allez plus au fond des émotions quelles qu’elles soient.
Ce qui semble mauvais ou peu convaincant dans une scène semble l’être parce que ce n’est ressenti qu’à moitié. Quand quelque chose semble être cliché, si vous le ressentez pleinement cela devient un archétype. Quelque chose qui semble lent et poussif, ressenti pleinement devient majestueux et grandiose. quelque chose qui semble trop intellectuel, quand vous explorez les sentiments derrière, semble plus riche et complet.
Pour un débutant la première réaction instinctive face à la voix de la critique interne est de fuir la façon dont il est en train de jouer et de chercher une autre idée meilleure. “Oh cette réplique ne marche pas du tout” on pense “je ferais mieux d’essayer quelque chose de totalement différent.” ou “je hais être coincé dans ce personnage pleurnichard je vais le changer et le rendre plus vivant et passionnant.” Etc. Etc.
En fait, une telle réaction est toujours contre-productive parce qu’elle vous emmène directement HORS de la logique émotionnelle de la scène, rompt le fil conducteur et la continuité, et vous plonge dans la position de faiblesse qui consiste à essayer de “penser à des idées”, ce qui veut dire que vous avez perdu le pouvoir de votre intuition, de vos instincts.
C’est toujours une meilleure tactique, dès que vous entendez la voix de la critique interne, d’interpréter ce que cette voix vous dit comme ” va plus loin dans ce que tu es en train de faire ” (Sans prêter attention à ce que la voix semble dire.) Ainsi, si ce que vous travaillez semble ridicule, allez plus loin dans le ridicule. . Si cela semble lent et poussif, allez plus loin dans votre lenteur et ressentez-la de tout votre être.
Quel que soit le jeu sur lequel vous travaillez, quand vous allez jusqu’au bout , il sera plus épanoui, plus riche et plus authentique, et ainsi deviendra beaucoup plus théâtral. Il se peut aussi qu’il se transforme naturellement et devienne quelque chose d’autre, sauf que ce changement ne sera pas désespéré ou arbitraire, il ne sera pas le résultat d’une fuite de la scène, ce sera l’étape suivante logique pour aller plus profondément dans la scène, et ainsi cela assurera au public que la scène que vous jouez a en effet un sens, qu’elle a sa propre intégrité et logique, et qu’elle les emmène en voyage vers un endroit intéressant.
Le voyage vers la scène suivante se fait toujours en allant plus loin dans ce que vous faites.
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